Dans un livre aujourd'hui oublié, Bernard Tricot, un
gaulliste de gauche tristounet et faux-cul, raconte que quelques VIP
étaient venus interroger de Gaulle sur l'Algérie dans
sa retraite à Colombey, en 1957. L'un d'eux lui avait dit :
«Mon Général, il faudra sans doute aller à
des concessions non négligeables pour conserver ces
départements à la France.» Et de Gaulle lui aurait
répondu : «Mais non, vous n'avez rien compris : il faudra
aller jusqu'à l'indépendance.»
Chacun a droit à ses idées propres, je ne reproche
donc pas à de Gaulle d'avoir eu les siennes, qui n'avaient
rien à voir avec les miennes bien sûr.
Ce que je lui reprocherai jusqu'à mon dernier souffle,
c'est d'avoir trompé les français, l'armée, les
pieds-noirs et les musulmans pour revenir au pouvoir.
Tout le monde l'a oublié, mais la révolution de Mai
1958 a été magnifique. Un élan extraordinaire
avait emporté le pays des deux côtés de la Grande
Bleue. La fraternisation des pieds-noirs et des musulmans
d'Algérie a été un grand moment de notre
histoire le 13 mai 1958. Les pieds-noirs à eux seuls
n'auraient pas suffi à emplir le forum d'Alger comme il l'a
été ce jour-là.
Le FLN s'était ratatiné comme une peau vidée
de sa substance interne.
Pendant tout l'été 1958, il n'y a pas eu d'attentat
ou presque. Les Français étaient sûrs que
l'Algérie resterait la France et croyaient à de Gaulle
quand il s'écriait :
«De Dunkerque à Tamanrasset, il n'y a que des Français !»
Pourquoi les communistes sont-ils aujourd'hui hystériques
avec cette histoire ? Cela aussi on l'a oublié : parce qu'ils
ont été BALAYES par la révolution du 13 mai
1958. Ils ont pris trois baffes successives gigantesques :
1) première baffe le 13 mai. Ils ont essayé une
contre-manif à Paris pour laisser croire que l'élan du
13 mai n'était que partiel. Ils ont bien fait, car leur manif
a été un de ces bides cuisants dont on ne se
relève pas ! Quelque cris dérisoires, "le fascisme ne
passera pas !"sur les champzés, lancés par des troupes
étiques et désemparées... C'était mieux
que s'ils n'avaient rien fait, car là le
bénéfice du doute n'était plus permis devant un
ratage aussi monumental...
2) deuxième baffe le 30 septembre 1958, avec le
référendum massivement approuvé par les
Français. Ce référendum que les communistes
avaient combattu de toutes leurs forces...
3) et troisième baffe aux législatives qui ont
suivi, où l'on a assisté, à la surprise
générale, à un raz-de-marée UNR. Les
communistes sont revenus à....12 députés ! Vous
avez bien lu : 12 députés !
De tout le vingtième siècle, ces six mois de mai
1958 à Toussaint 1958 sont le plus grave échec
communiste en France. Il s'en est fallu d'un rien que leur navire
sombre pour toujours...
Je me souviens, j'avais 17 ans. Et l'idée suivante m'avait
traversé l'esprit : «Si les communistes ne disparaissent
pas ce coup-ci, tels le Phénix, ils reviendront pour toujours
après avoir ressuscité de leurs propres cendres.»
Hélas, je ne savais pas combien j'avais raison.
Alors quel est ce rien qui a fait tout capoter ? Ce rien, c'est de
Gaulle !
Jamais la vie en France n'a été si belle que de mai
1958 à Toussaint 1958, et c'est un crime absolu d'avoir
détruit cette espérance. Personne, aujourd'hui, ne peut
avoir idée de l'enthousiasme qui animait la jeunesse
française, garçons et filles ! Ah ! On ne faisait pas
la gueule come aujourd'hui (vous avez vu ces tronches dans le
métro ?). L'espoir était véritablement infini.
beaucoup de mes copains rêvaient d'aller à la ruche
pétrolière saharienne et d'autres se promettaient de
faire reverdir le Sahara. A la tv nationale (chaîne unique, on
donnait la pièce désopilante "la famille Hernandez" qui
mettait en scène des pieds-noirs chez eux, en contact avec les
musulmans et musulmanes de la Casbah. J'en sais encore des
scènes par coeur parmi les plus drôles...
Pendant ces six mois, personne ne doutait. On a donc pu voir les
miracles produits par l'absence de doute...
J'ai fait partie des cocus, comme presque tout le monde.
Mais je veux rendre ici un hommage à quelqu'un qui ne l'a
pas été, cocu, en ces mois euphoriques où nous
ne doutions pas. Quelqu'un qui a été bien plus lucide
que moi.
Ce quelqu'un, c'est François Duprat. Il a été
mon camarade d'octobre 1958 à juin 1959, il était en
hypokhâgne. j'avais choisi une autre voie... Mais nous
discutions apssionnément avec lui car c'était un
phénomène de culture historique comme on n'en voit pas
souvent.
Mes lecteurs conviendront que sous ma plume, qui est rien moins
que tendre envers les cuistres ignorants qui polluent notre
époque, cet hommage respectueux à l'immense culture
d'un jeune hommme de 18 ans est une référence !
Ce François Duprat était trop cultivé, il a
été assassiné par un pain de plastic posé
sous sa voiture, en 1978... Affaire mystérieuse (ça
dépend pour qui...) en tout cas jamais élucidée
(tiens, tiens !).
Et dès Octobre 1958, je me souviens d'une grande discussion
entre François Duprat et moi. Je lui disais que cette fois-ci,
la France allait se relever, que l'Algérie ne serait pas
perdue et que nous allions avor 3 millions de km2 avec des ressources
inépuisables pour développer sainement une vigoureuse
démographie dans les trois siècles à venir. Que
les jeunes Français avaient enfin un vrai avenir devant eux.
Et lui m'avait répondu (en Octobre 58 ! Vous ne pouvez pas
savoir l'audace intellectuelle, la clairvoyance, la
pénétration d'esprit qu'il fallait pour répondre
ça à cete époque-là), donc il m'avait
répondu ceci :
«Ne crois pas ça, Gérard, je ne veux pas te
décevoir et jouer les rabat-joie, mais non, la vie n'est pas
belle et la France ne va pas se relever et non, nous n'aurons pas
d'avenir.»
Moi : «mais là, tu déconnes ! Tu ne vois pas ce
qui se passe depuis le 13 mai ? Qu'est-ce qui te permet de dire
ça ?»
François Duprat : «Ce qui me permet de dire ça,
c'est la mise à l'écart de Soustelle, non pas la mise
à l'écart tout court, car il y en a d'autres qui le
valaient, mais la mise à l'écart au
bénéfice de Michel Debré. Car écoute-moi
bien, Gérard : malgré son "courrier de la
colère", Michel Debré, s'il a été
appelé, c'est assurément pour liquider
l'Algérie. C'est le signe irréfutable que la
décision est prise d'ores et déjà, et ce signe
nous sommes très peu à pouvoir le comprendre et j'en
fais partie.»
Je n'ai jamais revu Duprat par la suite. Mais je regretterai toute
ma vie de ne pas avoir pu lui faire des excuses sur mes
réactions à ses révélations lors de cette
conversation...
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