L'antisémitisme en France a essentiellement été
de gauche jusqu'à l'affaire Dreyfus et même un
peu après.
Il n'y a eu une communauté juive notable en France
qu'à partir de 1795. Napoléon a cherché
à l'organiser en fonction des préjugés
de l'époque. Mais comme cette communauté s'est
assurée rapidement des positions financières
de premier plan, elle n'a pas véritablement rencontré
d'hostilité dans la bourgeoisie, qui tint le haut du
pavé de 1830 à 1914.
Les choses sont plus complexes dans l'aristocratie, notamment
à cause de certaines pesanteurs catholiques. Toutefois
il n'y a pas de xénophobie ouverte envers les Juifs
et encore moins d'appels au meurtre tant dans la bourgeoisie
que dans l'aristocratie.
En revanche, du côté gauche, surtout du côté
des socialistes utopistes - Fourier et compagnie -, la haine
antisémite n'a pas de bornes et dépasse l'imagination.
Lisez les deux tomes de «Les Juifs, rois de l'époque»
de Toussenel, le bras droit de Fourier. Lisez certains jugements
de Proudhon. Lisez des citations de Blanqui, de certaines
passionarias qui tournaient autour des leaders gauchistes
de l'époque comme des mouches autour d'une bouse. Lisez
Victor Hugo même, bien qu'il soit toujours le grand
homme de l'école primaire et de la gauche, le moins
qu'on puisse dire c'est qu'il est plutôt ambigu dans
sa relation avec le peuple juif.
Partout à gauche, le Juif c'est le suceur du sang
de l'ouvrier, le vampire, le rapace assoiffé d'usure,
le malhonnête représenté en vautour baveux
répugnant malpropre dans toutes les caricatures.
Je vous rappelle ici que Jaurès, au lendemain de la
condamnation de Dreyfus, s'écria à la chambre,
son discours peut être vérifié au JO de
l'époque, si quelqu'un veut la référence,
je la lui donne : «Je m'étonne de la clémence
du tribunal militaire envers un traître ; s'il s'était
agi d'un simple honnête ouvrier français, nul
doute qu'il aurait été promptement fusillé».
Il fallu d'ailleurs plus de six mois pour que l'affaire Dreyfus
devienne une affaire...
Drumont, à la fin du tome 2 de son immortel «La
France juive», où les Juifs sont dépeints
comme malpropres, puants, («le juif pue, c'est un fait»,
voilà ce qu'on peut y lire dès les premières
pages), mangeant des enfants pendant les sabbats, incestueux,
dégénérés, etc. (il y en a comme
ça pendant 600 pages), Drumont donc, à la fin
de l'ouvrage, s'écrie : «Seul un grand chef socialiste
pourra nous en débarrasser».
Même Marx ne tarit pas d'insultes ordurières
contre ses congénères juifs ; Marx appartient
à la catégorie très spéciale et
particulièrement venimeuse des Juifs antisémites
; il a aujourd'hui fait beaucoup de petits à gauche,
qui se cachent (mal) sous les noms de «antisioniste»,
«pro-palestinien», etc.
C'est cette culture antisémite de gauche qui a imprégné
le petit peuple français, pendant presque un siècle,
et il faut reconnaître qu'aujourd'hui encore, il en
reste quelque chose. C'est absolument incroyable que cette
gauche ait retourné la chose et réussi à
accuser la droite de ce dont elle est la coupable principale
! C'est là qu'on se dit : faut-il donc que les français
soient cons tout de même !.
En revanche, si vous regardez la bourgeoisie, en dépit
des préjugés catholiques, vous n'y voyez rien
de tout cela jusqu'à l'affaire Dreyfus. C'est que la
communauté juive de France, je le répète,
a rapidement conquis une place enviable dans le domaine financier,
et le bourgeois, pragmatique, en a pris acte. Les affaires
avant tout !
Quant aux aristos, leur situation financière personnelle
souvent chancelante les a poussés, bien souvent, à
braver les fameux préjugés pour conclure un
mariage opportun avec une fille de famille juive nouvellement
enrichie, qui soulageait immédiatement leurs affaires...
Les leaders de gauche, qui ne faisaient jamais dans la dentelle
quand il s'agissait de clouer le Juif au pilori, avaient trouvé
une expression cruelle pour ces cas-là. En guise de
faire-part, ils publiaient dans leurs feuilles de chou innombrables
des annonces ainsi libellées : «Monsieur le baron
X vient de fumer ses terres avec Melle Y, fille de famille
israélite enrichie dans le commerce du produit Z».
C'est sous le Second Empire que la communauté juive
française prospéra le plus rapidement. Les frères
Péreire, hommes de banque, en sont un exemple emblématique.
Il ne faut d'ailleurs pas croire que le peuple gobait forcément
les bobards antisémites lancés par ses leaders
socialistes extrêmes. Ainsi dans le Midi, il y avait
un chômage endémique. L'un des Péreire
construisit des voies ferrées et des canaux en plus
du Canal du Midi, ce qui procurait du travail. Les ouvriers
s'en rendaient compte et votaient pour Péreire aux
élections législatives malgé les consignes
contraires conjointes de la hiérarchie catholique et
des leaders socialistes (mais ça ne suffisait pas à
le faire élire, car les ouvriers ne formaient pas une
classe alors très nombreuse, contrairement à
la masse paysanne).
En réalité, les Juifs enrichis sous le Second
Empire utilisèrent leurs capitaux pour développer
le pays, et la bourgeoisie le savait. On peut donc dire qu'au
tournant de l'année 1900, il n'y a plus aucun problème
sérieux d'antisémitisme dans l'aristocratie
et la haute bourgeoisie française : les mariages aidant,
une sorte de symbiose inextricable s'était créée.
Drumont qui vilipendait tant les familles qu'il qualifiait
d' «enjuivées» savait de quoi il parlait,
il avait dressé une liste, et de fait il était
difficile de trouver une famille bourgeoise française
qui ne soit «enjuivée» en quelque façon.
On voit donc que l'antisémitisme français,
comme je le disais, est une scorie de l'idéologie de
gauche, du moins jusqu'à la fameuse affaire Dreyfus.
Il faut reconnaître qu'un refroidissement très
net survint à cause de cette affaire Dreyfus. C'est
à partir d'elle que l'on voit une certaine fraction
de la droite française, des royalistes légitimistes
notamment, se souvenir tout à coup que nos rois interdisaient
l'usure et bannissaient les Juifs de toute une série
de professions notamment celle de cultivateur. Pourquoi cette
régression, qui n'affecta point les milieux de droite
héritiers de l'orléanisme et des milieux affairistes
enrichis sous le Second Empire ? Pour une seule et unique
raison : c'est qu'à travers l'affaire Dreyfus, ils
considéraient, à juste titre d'ailleurs, que
c'est l'armée qui avait été attaquée.
Et c'est un fait que l'affaire Dreyfus a brisé le moral
de notre armée au moins autant que la malheureuse affaire
algérienne au temps de l'OAS. Ce n'est donc pas contre
le Juif en tant que Juif que l'antisémitisme a concerné
une fraction de la droite française (notamment dans
quelques cercles de pensée maurrassiens) à partir
de l'affaire Dreyfus. C'est contre la communauté juive
en tant qu'elle s'était identifiée à
une violente campagne antinationale et dirigée contre
notre armée. Donc rien de raciste là-dedans.
On ne peut en dire autant de l'antisémitisme de gauche
à la Drumont, qui était ouvertement raciste
(«le Juif pue»).
L'antisémitisme inoculé au petit peuple par
la gauche française s'est prolongé sans trop
de complexes jusqu'en 1976 malgré la toute nouvelle
loi Pleven. En voici une preuve, une anecdote aujourd'hui
bien oubliée, mais aisément vérifiable.
Vers 1976, un bruit avait couru dans les milieux de la très
communisante CGT française. Ce bruit : une petite phrase
attribuée à l'un des vieux crocodiles staliniens
Séguy, ou Frachon, ou Andrieu, ou je ne sais plus...
On n'a jamais su exactement. Mais la phrase avait fait florès
dans les milieux de presse, elle avait été rapportée
à l'envi avec une certaine délectation par nombre
de journalistes. La voici :
«Il y a décidément beaucoup de Juifs au
Parti Communiste Français.»
Eh oui ! À la CGT pas plus que dans la littérature
de Fourier, Toussenel ou Proudhon, on ne faisait pas dans
la dentelle en 1976 encore !
Georges Marchais fut pressé de s'expliquer sur la
petite phrase. Il prit son temps, plus de deux mois ! Et un
beau jour, à la télé, je m'en souviens,
je l'ai vu et entendu ce jour-là, il finit par dire
en bougonnant que «c'était une honte», mais
sans préciser trop, si bien qu'un demeuré abruti
aviné pouvait à bon droit se demander si ce
qui était une honte c'était la phrase ou le
fait qu'il y ait trop de Juifs au PCF...
Je ne rappellerai que pour mémoire l'ahurissante phrase
de Raymond Barre, au lendemain de l'affreux attentat (on sait
aujourd'hui que c'était un attentat palestinien) rue
des Rosiers :
«Je m'indigne de cet odieux attentat dirigé contre
des Juifs et qui a frappé des français innocents
qui passaient par là».
Sans doute une réminiscence de son éducation
d'enfance, allez savoir...
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