(En réponse à un intervenant.)
Tu situes le début de la dégringolade française
à juin 40.
C'est faux. Juin 40, c'est le début d'un sursaut de
la natalité française comme il ne s'en était
pas produit depuis Louis-Philippe, et qui a duré jusqu'à
la fin des années 60. L'oeuvre de la «Révolution
nationale» est impressionnante, et malgré les
terribles conditions, la volonté de redressement moral
public était sincère chez la majorité
du personnel de Vichy. Et qu'on le veuille ou non, jusqu'en
1942, ce redressement a eu lieu (par exemple, les asiles d'aliénés
se sont vidés, parce que l'alcoolisme avait spectaculairement
baissé). C'est difficile à dire, mais je n'ai
pas peur de le dire : le personnel politique de Vichy, du
10 juillet 40 à novembre 42, a été l'un
des personnels politiques les moins corrompus et les plus
dévoués au service public que nos républiques
aient connus. Je ne suis pas là en train de faire une
ode à Vichy. Je constate, et mieux, j'explique : ce
fait peut être attribué à l'ampleur inouïe
de la défaite en six semaines. Une grande partie des
personnels politiques de la Troisième a alors fait
intérieurement son mea culpa, s'est posée des
questions de fond... et s'est juré de faire son possible
pour réparer.
Peu de gens savent qu'aujourd'hui encore, une grande partie
des lois instituées par la Révolution Nationale
sont toujours en vigueur. Le livret de famille...le statut
des mères célibataires...les réglementations
forestières...l'amélioration du statut des fermiers...
la fête des Mères...et bien d'autres (que je
n'approuve pas toutes, notamment la réforme de la composition
des jurys de cour d'assises)...l'amélioration des assurances
sociales...
Les historiens du futur seront obligés de convenir
que la terrible épreuve de juin 40 avait réellement
provoqué un sursaut en profondeur du pays, que ce n'est
pas là qu'il est mort.
La superbe embellie économique des années 1955-1972
prend ses racines dans cette période juin 40-novembre
42.
Les fameux «chantiers de jeunesse» du général
de La Porte du Theil n'étaient pas une sotte initiative.
j'ai connu des socialistes pur jus (instituteurs) qui y avaient
été enrôlés et en avaient gardé
un souvenir très vif, et pas en mal...
Bien sûr, on peut aujourd'hui se gausser des chantiers
de jeunesse. Mais si on se replonge dans la tragédie
que venait de traverser le pays, qu'aurions-nous fait si on
nous avait confié le pays à leur place ? avec
les mêmes conditions ?
Ces chantiers de jeunesse étaient une forme de remilitarisation
matérielle et morale du pays, la seule possible compte
tenu de la défaite et de la tutelle allemande incontournable...
Et l'École des cadres d'Uriage ?
Donc, ce n'est pas juin 40. Les élites françaises
avaient trahi le peuple, ce qui nous avait conduits à
juin 40. Mais une partie de ces élites a sincèrement
voulu se racheter. C'est ainsi qu'il faut comprendre le vote
du 10 juillet 40, qui inaugura le gouvernement PROVISOIRE
de la Révolution Nationale. Rappelons que l'énorme
majorité des députés socialistes vota
le texte qui confiait provisoirement les pouvoirs au Maréchal.
Léon Blum a décrit, dans ses Mémoires,
l'atmosphère qui a présidé à ce
vote, c'est très intéressant...
L'AUTRE HYPOTHÈSE
Saint-Loup situe le début de l'engrenage fatal à
1944-45. Son estimation est plus digne d'intérêt,
car cette période voit s'installer le parti communiste
durablement dans notre paysage politique.
Or avec un recul de 55 ans, on peut affirmer que les communistes,
dans le long terme, portent une écrasante responsabilité
dans notre descente aux enfers actuelle. La toute première
de leurs responsabilités a été d'instaurer
une guerre civile entre français, d'abord ouverte avec
les exécutions sommaires, puis insidieuse avec les
«indignités nationales», et qui dure encore.
Or, cette guerre civile aurait pu avorter. Elle était
moribonde en 1968-72. Le président Pompidou l'avait
relevé,, et avait contribué à l'éteindre
d'ailleurs avec des interventions courageuses (qui ne se souvient
en quels termes si justes il a pourfendu «les divisions,
les haines...'' (en parlant de la guerre 39-45) auxquelles
il affirma vouloir mettre un terme ?).
Si la crise économique de 1973 n'était pas
advenue... si Pompidou n'était mort trop tôt...
si... si... peut-être, en effet, l'actuelle guerre civile
ne serait pas.
Donc l'hypothèse de Saint-Loup : hasardeuse, et en
tout cas conditionnelle. Ne suffit pas à tout expliquer.
Il a fallu autre chose.
LA TROISIÈME HYPOTHÈSE
Moi, je fais dater le début de la descente aux enfers
de la perte de l'Algérie. Ou plutôt, des conditions
calamiteuses dans lesquelles nous avons abandonné ce
territoire.
Je reconnais que cette perte aurait elle aussi pu être
surmontée, même dans les mauvaises conditions
où elle a eu lieu, si la crise économique de
1972-73 (et de 1979-80) n'avait pas tout flanqué par
terre, réveillant les vieilles plaies.
Cependant, elle a ajouté ses effets négatifs
aux effets négatifs de la période 1944-1945.
Militairement, malgré la «défaite en six
semaines», nous n'étions pas anéantis.
Le prestige de notre difficile et héroïque victoire
de 14-18 restait grand, les terribles pertes humaines qu'elle
nous avait infligées pouvaient servir d'excuse à
la «défaite en six semaines».
Un bon mot assez cruel circulait alors dans les familles
françaises : «les Anciens combattants de 14-18
saluent les anciens combattus de 39-40».
Mais le sursaut inattendu et inespéré de la
natalité française à partir de 1940 corrigeait
bien vite les mauvaises conséquences des classes creuses
qui sont allées au casse-pipe en juin 40 (je rappelle
que la classe 39-40 était LA MOITIÉ de celle
de 14...).
Malgré Dien-Bien-Phu (où l'on oublie que nos
soldats se sont couverts d'héroïsme dingue), nous
avions derrière nous la magnifique campagne d'Italie
de Juin, avec l'Armée d'Afrique. Nos officiers avaient
appris les règles de la guerre psychologique en Indochine.
Combien de fois les américains, après notre
départ d'Indochine, n'ont-ils pas regretté le
savoir-faire de nos soldats !
Et en Algérie, c'est un fait que Challe avait cassé
les reins à l'ALN et au FLN. Il les avait vaincus,
d'ailleurs de Gaulle y tenait. C'est une de ses bizarreries
: il a tenu à donner l'Algérie aux assassins
du FLN, mais seulement après leur avoir bien cassé
la gueule militairement, pour qu'ils lui doivent tout... passons...
L'affaire Si Salah est dans toutes les (bonnes) mémoires...
Ce qui a fait le plus de mal à la France dans l'abandon
de l'Algérie (en dehors des inconvénients que
j'ai maintes fois exposés), c'est que ça a durablement
cassé et démoralisé l'Armée française.
Bien plus pernicieusement et bien plus gravement, à
mes yeux, que la «défaite en six semaines»,
cette dernière n'ayant pas atteint le moral en profondeur
(cf. l'Armée d'Afrique et l'héroïsme des
soldats de Messmer à Bir-Hakeim).
L'abandon de l'Algérie a superposé une seconde
guerre civile franco-française à celle apparue
en 1944-45. Les deux ont couvé et ont failli mourir
entre 1963 et 1972. A l'occasion de la crise économique,
elles ont reflambé d'abord en incubant sournoisement,
puis au grand jour, et tout récemment, elles viennent
de faire leur jonction catastrophique !
CONCLUSION PROVISOIRE
Je pense que la gravité de la situation actuelle est
le produit combiné des venins inoculés en 1944-45,
puis en 1962-63, potentialisés par la crise économique
de 1973, puis de 1979-80 (cette dernière ayant eu pour
conséquence catastrophique de faire revenir les socialocommunistes
au pouvoir en 1981).
Il resterait donc à examiner les dessous de cette
crise économique de 1972-73 sans laquelle les deux
venins ci-dessus n'auraient sans doute pas suffi à
nous anéantir comme nous le sommes aujourd'hui.
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