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Les relations franco-américaines

 

 

Sans remonter au Traité de Paris qui sonna le glas de la "grande Louisiane", il faut revenir un peu en arrière.

Le jalon essentiel dans nos relations avec l'oncle Sam est la guerre de 14-18. Le prix de notre victoire de 1918 a été dingue, et c'était vraiment une victoire.

Pour mesurer le chemin parcouru par la France depuis lors, il faut rappeler que l'ensemble des troupes alliées, l'année 1918, était sous commandement français, celui de Foch. Même si Pershing exerçait le commandement du contingent américain, il s'insérait dans le commandement français et préparait ses offensives avec Foch et surtout Pétain (voir le livre de Le Groignec : Pétain et les Américains).

Autres rappels : fin juin 1918, le contingent américain en France n'était que de 300 000 soldats. C'est à partir de juillet que les Américains sont arrivés en masse, puisqu'ils étaient 2 millions le 11 novembre 1918.

Il est impossible de penser à cette période sans se souvenir que 300 000 soldats américains dorment dans nos cimetières français, tués au combat entre juin 1918 et le 11 novembre 1918. Même si ça ne fait que 22% de nos 1 400 000 morts dans cette guerre, ça reste énorme. C'est de loin le plus gros tribut humain que les Américains aient payé à Mars depuis leur fondation (en 39-45, alors qu'ils ont combattu dans le Pacifique ET en Europe, ils ont eu moins de pertes humaines...).

Légitimement, les Américains ont donc pu s'estimer libérés de la dette qu'ils avaient contractée auprès de la France pour leur fondation, dans les années 1780 : je ne pense pas à Lafayette - ce n'était qu'une initiative privée de portée secondaire -, je pense à l'aide importante officielle que Louis XVI a apportée aux insurgés américains contre l'Angleterre, sans laquelle l'Indépendance des USA n'aurait eu lieu que bien plus tard. On a d'ailleurs souvent avancé que les troubles de 1789 ont largement été financés par Albion, en représailles à cette aide de Louis XVI. Et, de fait, on sait aujourd'hui que Danton a bel et bien été financé par de l'argent anglais.

Quoi qu'il en soit, c'est nous qui avons contracté une dette envers les Américains en 1918. Même si nous avons gagné authentiquement cette terrible guerre, notre situation en 1918 était terrible, et nos dirigeants n'auraient pas tenu le coup comme ils l'ont fait sans la certitude que les Américains allaient arriver en masse. Relisez bien le célèbre discours de Clémenceau à la Chambre, après des semaines de silence qui suivirent son investiture : «...politique extérieure : je fais la guerre [...] politique intérieure : je fais la guerre [...] et je continuerai ainsi jusqu'au dernier quart d'heure, car c'est nous qui aurons le dernier quart d'heure». Clémenceau dit ça parce qu'il sait que les Américains vont arriver. Or, la situation est tragique : depuis octobre 1917, nous nous battons à 2 millions contre 4 millions d'Allemands en face, commandés par Luddendorff qui lance offensive sur offensive, car il sait que le temps lui est compté, que s'il n'a pas la décision avant l'arrivée des Américains, c'est cuit pour l'Allemagne.

Pétain fait des miracles incroyables avec une guerre de mouvement de grand style, comblant un trou là aujourd'hui, ici le lendemain, râlant contre les Anglais qui confondent collaboration et relève, sauvant Paris de justesse après l'enfoncement des Anglais le 18 mars 1918 à Arras - un coin de 80 km dans notre front en quelques jours !

Certes, nous avons accompli ces prouesses folles tout seuls, mais nous n'aurions jamais eu le moral de le faire sans la certitude que les Américains allaient arriver.

Plusieurs historiens font état d'une réunion secrète tragique entre Poincaré, Clémenceau, Foch et Pétain en avril 1918, au moment le plus tragique de toute la guerre. Clémenceau clôtura cette réunion en disant sobrement, sur un tout autre ton que celui de son discours à la Chambre : «Si nous mourons, au moins, nous mourrons debout !». C'est dire combien nous étions près du gouffre...

Le grand ratage français, c'est l'après-guerre, entre 1918 et 1939.

Wilson, au moment du traité de Versailles, parla en vainqueur, en homme sans qui il n'y aurait pas eu de Victoire. Il inaugura la politique d'interventionnisme humanitaire des USA dans le monde. C'était sa façon à lui de se faire payer les 300 000 GIs. Cependant, il était tiraillé entre diverses forces contradictoires. Il ne faut jamais oublier que le melting-pot US comporte, à l'origine, plus d'Allemands que de Français ! D'où de considérables forces isolationnistes, qui ont infléchi la ligne wilsonienne dans un sens qui ne nous était pas favorable.

Le coup de gong de cette séparation de corps franco-américaine eut lieu fin décembre 1919, quand le Congrès US refusa de ratifier le Traité de Versailles, ce qui réduisait pratiquement à néant les "garanties" du Traité. Ces garanties étaient le plat de lentilles de promesses anglo-américaines contre quoi nous avions échangé une occupation définitive (prélude à une annexion possible) de la rive gauche du Rhin.

La mise à l'écart relative de Pétain (que l'on a consolé avec son bâton de Maréchal) vient de là, car Pétain entendait poursuivre l'ennemi chez lui jusqu'à sa capitulation MILITAIRE (ce ne sont que les POLITIQUES allemands qui ont signé l'armistice) et dans ce but, lui et Pershing avaient préparé une grande offensive en Rhénanie pour le 14 novembre 1918... C'est donc Foch qui fut l'homme de la situation, l'homme qui a accepté les garanties militaires des Alliés contre le gage rhénan. Ces garanties, acceptées par Wilson, stipulaient qu'en cas de violation grave d'une clause militaire du Traité de Versailles, les Alliés occuperaient militairement l'Allemagne sans délai.

Il fut clair tout de suite pour tout le monde que, du moment que le Sénat US refusait de ratifier le Traité, ces garanties devenaient du pipeau.

Les Américains, libérés de leur dette envers la France, se sont donc comportés avec elle comme avec n'importe quelle autre puissance occidentale développée : sans méchanceté, mais sans complaisance. Par exemple, ils ont orchestré tous les plans Dawes et Young successifs qui réduisaient les réparations allemandes à une peau de chagrin... Ils exigeaient le remboursement de nos propres dettes de guerre envers eux indépendamment du remboursement de réparations à nous par l'Allemagne... Ils accordaient à Herriot un gros prêt bancaire, souscrit auprès de la banque Morgan, moyennant de sérieuses garanties qui retentissaient sur notre indépendance nationale, par exemple en exigeant des réductions de notre marine de guerre... Ils exigeaient une réduction de notre armée, considérée jusqu'en 1930 comme trop forte donc menaçante pour l'équilibre européen... Toutefois, les dettes de guerre de la France aux USA furent effacées sans contrepartie à l'avènement de Roosevelt.

Pour résister aux USA, il aurait fallu que notre aristocratie fasse comme l'aristocratie anglaise, i.e. s'impose à elle-même de lourds sacrifices pour sauver la nation. Nous avons vu qu'elle n'a consenti à rien (alors, notez bien, que cette même aristocratie avait consenti un lourd prix du sang pendant la guerre), et nous avons vu que le poison de la lutte des classes explique en grande partie cette réaction égoïste et suicidaire pour le pays.

Du coup, on peut dire que les Américains, en France, ont avancé leurs pions au fur et à mesure de nos renoncements. Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'ils ont méthodiquement racheté nos entreprises, cela a commencé dans les années 20, par le jeu de nos abandons. Nos dirigeants ont camouflé ces abandons sous le masque de la politique pacifiste de Briand. Quelle lamentable hypocrisie ! Dans la coulisse, on était incapable de conserver notre indépendance nationale, de maintenir nos forces armées à niveau, alors publiquement, on disait qu'on était pour la paix !

Mais la France, même avec tous ces renoncements, était un gros morceau ! La France en 1900, c'était, je le rappelle, UN SAVANT SUR DEUX DU MONDE (toutes disciplines confondues) résidant à Paris ! (en 2000, environ un sur 100...). La décadence, c'est comme une vieillesse, c'est long, long...

Malgré les isolationnistes US (souvent pro-nazis, comme Lindbergh), malgré l'irruption du nazisme en Allemagne, malgré nos convulsions sociales pitoyables (derrière le Front Popu, il y avait toutes les misères causées par la guerre...), malgré notre effondrement démographique de 1920-1940, personne ne pouvait prévoir notre débâcle de mai-juin 1940. Avec 60 ans de recul, on se demande aujourd'hui par quel miracle la France a pu se retrouver en entier en 1945, avec tout son territoire de 1919 et toutes ses colonies... Ce n'est presque pas croyable.

Cette grandeur retrouvée s'est avéré, à la longue, un costume trop grand. Le stupéfiant sursaut démographique du pays commencé en 1940, conjugué à l'embellie économique des années 1954-1970, a masqué le mal pendant un temps. Mais je crois que le pays a été réellement touché à mort entre 1920 et 1940, et une fois revenu le temps des crises et des vaches maigres, le mal a réapparu.

De Gaulle, en dépit de ses tragiques erreurs en 1944 et en Algérie, a sans doute voulu relever la France et la rétablir dans sa grandeur et son indépendance en profondeur. Jusque 1968, il a pu croire un instant avoir réussi, cf. dans "C'était de Gaulle", quand il dit à Peyrefitte, après la réussite de la bombe H française par nos seuls moyens, alors que l'Angleterre n'a eu la bombe H que sous clé US : «C'est incroyable ! C'est un miracle ! Une résurrection ! La France est redevenue la France !...».

A sa suite, Pompidou a sans doute voulu la même chose, mais sur le mode mineur, avec sa culture de banquier chez Rothschild. Il a commis la faute de faire entrer le loup anglais dans la bergerie européenne avant d'en avoir soigneusement protégé le cheptel. Il était un peu complexé par la puissance économique US, ça se voyait dans les voyages qu'il fit aux USA en 1969-70, et ça c'est encore mieux vu quand il a rencontré Nixon à la Jamaïque et qu'il a entériné une certaine démonétisation de l'or, tournant ainsi le dos à douze ans de luttes acharnées de de Gaulle.

Après lui, Giscard est arrivé, qui fut de 1974 à 1975-76 l'espoir du Club de Rome, ce bidule aux ficelles tirées par les USA, destiné à promouvoir les intérêts US sans état d'âme, s'il le fallait au détriment de puissances occidentales "amies". Puis Giscard attrapa le virus patriotique après l'automne 1976 et chercha à concrétiser le rêve gaullien de restauration de la grandeur française; sa manière d'aborder le problème était bien différente de celle de Pompidou. Giscard espérait parvenir à ce but par une union étroite de l'Allemagne et de la France, réalisée AVANT que l'Allemagne soit réunifiée, ce qui nous aurait donné une position au moins égale à celle de l'Allemagne et vraisemblablement dominante. Au fond, Giscard rêvait secrètement de rétablir l'Empire de Charlemagne, ce que la France avait quasiment réussi de 1795 à 1815, quand elle s'était étendue sur presque toute la rive gauche du Rhin. La victoire de Mitterrand en mai 1981 a ramené l'influence anglaise en force et ruiné ce rêve, conformément à la politique séculaire de l'Angleterre de ne jamais permettre une Europe unie sous une puissance dominante. Cette politique n'a toujours pas changé aujourd'hui, ce qui explique que l'Europe apparaisse comme une zone de libre échange à géométrie variable, sans frontières définies ni patrie de rechange proposée à ses habitants que l'on s'apprête à priver de leurs patries.

Donc plutôt que de voir un diable malfaisant chez les Yankees, moi, je crois plutôt que la situation actuelle est la suite logique des abandons de nos "élites" dirigeantes. Ces dernières ont sans doute renoncé à la patrie française à laquelle elles tenaient encore par exemple sous le Second Empire, un peu comme certaines entreprises finissent par se vendre à bon prix à de grosses multinationales, moyennant de solides garanties et de magnifiques situations pour ses principaux cadres. Je crois que les élites économiques françaises se sont peu à peu vendues à la multinationale la plus forte, le conglomérat des plus gros intérêts anglo-américains, moyennant de solides garanties et de magnifiques situations pour ses cadres principaux. C'est pourquoi au lieu d'envoyer ses enfants à Polytechnique comme en 1860, cette élite économique les envoie aujourd'hui à Harvard ou Berkeley.

Il n'y a pas de violence particulière là-dessous, mais aboutissement d'un processus d'abandons et de renoncements qui commença en 1919. Maastricht, c'est en quelque sorte la délégation de l'impossible gestion de la question sociale française à la multinationale unique dont nos élites économiques sont devenues certains des hauts cadres - parmi d'autres...

En conséquence, le rêve d'alliance avec la Russie de Poutine restera à jamais au niveau des peuples. Ce rêve n'est pas du tout partagé au sommet. Je crois qu'au sommet, la stratégie espérée avec les Russes serait du même type que celle avec la France : dans un premier temps, contrôle des ressources économiques du pays par une élite bien définie et solidement installée, et dans un deuxième temps, phagocytage de cette élite par la multinationale unique, par-dessus les peuples... les peuples à qui, quand ils feront grève ou se révolteront, au lieu d'envoyer des C.R.S. bien de chez nous, on enverra de quelconques casques bleus... dans les rangs desquels il y aura peut-être quelques engagés de nos ex-provinces françaises, n'ayant pas trouvé d'autre emploi dans le pays qui fut leur patrie...

 
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