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Systèmes électoraux

 

 

Depuis 1877, les Français ont souvent changé de système électoral.

Sous la Troisième République, les gouvernements ne se gênaient pas pour changer de système juste à la veille des élections (et même un fois, entre les deux tours !).

Il y a deux grands types de systèmes : les systèmes majoritaires et les systèmes proportionnels.

Les systèmes majoritaires peuvent être à un tour (comme en Angleterre) ou à deux tours avec majorité relative suffisante seulement au second tour. Ils nécessitent un découpage en circonscriptions. Ils sont employés pour disposer d'un exécutif de type autoritaire ; en effet, un système majoritaire donne la totalité du pouvoir à une majorité relative qui dépassé rarement 51-52%, dans un contexte d'abstention oscillant entre 15% et 40%, ce qui fait que dans le meilleur des cas, les tenants du pouvoir dans un système majoritaire ne représentent que 40% des inscrits. Actuellement, nous vivons sous un régime autoritaire (il suffit de suivre quelques séances de questions aux ministres sur la tv satellite pour mesurer l'incroyable morgue et l'incroyable mépris avec laquelle ce pouvoir repousse, sans donner de raison, la plupart des amendements raisonnables qui sont proposés à ses projets), et ce régime autoritaire est soutenu environ par 25 à 30% des électeurs inscrits, suivant les régions.

Les systèmes proportionnels peuvent être à un ou deux tours et nécessitent eux aussi de définir des circonscriptions de vote. On peut choisir de n'avoir qu'une seule circonscription, la France entière, comme ce fut le cas à plusieurs reprises sous la Quatrième République (c'est ce qu'on appelle la "proportionnelle intégrale'').

Mais on peut choisir d'en définir plusieurs. Par exemple, la proportionnelle départementale définit chaque département comme un circonscription de vote.

Plus il y a de circonscriptions de vote dans un système proportionnel, et plus ce système se rapproche d'un système majoritaire.

De Gaulle rétablit le système majoritaire à deux tours par circonscriptions à un seul député, car il entendait renforcer le pouvoir exécutif. Mitterrand ne cessa de dénoncer ce système; les communistes, de 1958 à 1981, n'ont cessé, presque chaque jour, de publier dans "L'huma '' des comparaisons entre le nombre d'électeurs qu'il fallait pour faire élire un député communiste et un député UNR (devenue UDR en 68, puis URP en 73, puis RPR en 76). cette critique virulente fut reprise à son compte par Mitterrand qui fit du rétablissement des scrutins proportionnels une de ses plus solennelles promesses au cas où il reviendrait au pouvoir (la promesse figure dans les 110 propositions).

Cependant, soucieux de ne pas affaiblir outre mesure l'exécutif, il ne rétablit pas la proportionnelle intégrale en 81, comme l'avaient espéré les communistes. Il opta pour un juste milieu, en décrétant la proportionnelle départementale, un mode de scrutin très souvent utilisé sous la Troisième République. Il eut même ce mot, auquel la presse fit largement écho en octobre 1981 : "Le seul scrutin véritablement juste, c'est le scrutin à la proportionnelle départementale ''.

L'avantage des systèmes proportionnels est de permettre une représentation exhaustive de l'opinion.

Il me semble utile d'expliquer ici plus en détail ce mécanisme, et pourquoi plus on se rapproche de la proportionnelle intégrale et plus il y aura d'opinions représentées : supposons, pour simplifier, qu'il y ait 400 députés, 40 millions d'électeurs et 100 départements. Chaque député correspond donc à une masse électorale inscrite de 100 000 électeurs, c'est-à-dire 0,25% des inscrits ; ce pourcentage de 0,25% est appelé le MINIMUM MATHÉMATIQUE du scrutin. Comme le siège de député est une unité insécable, on est bien obligé de décréter que quiconque n'aura pas obtenu 0,25% des suffrages exprimés n'aura droit à aucun siège ; en général, on choisit un seuil plus élevé que le minimum mathématique. pour simplifier notre discussion, nous supposerons ici que pour avoir des représentants, il faut avoir obtenu au moins 1% des suffrages exprimés. Toujours pour simplifier la discussion, nous supposerons qu'il n'y a pas d'abstention (s'il y en a, on corrige ce qui va suivre en multipliant certains chiffres par E/I, où E est le nombre de suffrages exprimés et I celui des inscrits).

Donc, dans le système de la proportionnelle intégrale, pour avoir droit à des élus, un parti doit obtenir au moins 400 000 suffrages. Un très grand nombre de partis peut accéder aisément à un tel score.

Plaçons-nous maintenant en système de proportionnelle départementale. Pour simplifier, supposons que chaque département ait le même nombre d'électeurs, soit 400 000. On attribuera donc 4 sièges à chaque département, donc chaque siège correspondra à une masse électorale inscrite de 100 000 électeurs, soit 25%. Ainsi, le minimum mathématique est CENT FOIS PLUS ÉLEVÉ qu'en proportionnelle intégrale.

Le problème qui était passé inaperçu dans le cadre de la proportionnelle intégrale devient ici suraigu : si beaucoup de partis se sont présentés, que faire des voix qui se sont portées sur ceux qui arriveront au mieux en cinquième position ? c'est ce qu'on appelle le PROBLÈME DES RESTES. Pratiquement inexistant en proportionnelle intégrale, il devient essentiel en proportionnelle départementale ! Seuls les quatre partis arrivés en tête auront droit à des élus. Mais combien ? Pour partager le plus équitablement possible ces voix perdues entre les vainqueurs, on a imaginé de nombreux systèmes, sur lesquels je n'ai pas ici la place de m'étendre ("la plus forte moyenne'', "le plus fort reste'' sont les deux plus connus, mais il y en a d'autres).

L'application stricte de ces règles conduisent à des résultats parfois déroutants pour l'électeur de base, qui constate avec une certaine perplexité (par exemple) que tel parti arrivé en troisième position n'a pourtant aucun élu, seuls les deux premiers ayant des élus....

Si le lecteur m'a bien suivi, il comprend bien j'espère, au point où je suis arrivé, qu'un parti pourra fort bien n'avoir aucun élu tout en ayant recueilli, en totalisant toutes les voix obtenues dans chaque département, bien plus que 400 000 électeurs. Par exemple, supposons que deux partis soient assez forts pour remporter tous les sièges à eux deux dans chaque département. Avec les règles des restes usuelles, il suffit pour cela qu'ils totalisent à eux deux environ 60% des voix dans chaque département, avec un émiettement des voix restantes sur beaucoup de petits partis; ce qui laisse 40% de voix perdues. dans un tel contexte, un parti peut très bien recueillir 10% des voix dans chaque département, c'est-à-dire 4 millions de voix au plan national, et n'avoir aucun élu nulle part.

On voit donc que la proportionnelle départementale contient une forte dose de représentation majoritaire. Elle apparaît donc comme un juste milieu entre les deux extrêmes que sont la proportionnelle intégrale et le système majoritaire à deux tours. Dans le système majoritaire à deux tours, un parti peut recueillir 49% des voix dans chaque circonscription et n'avoir aucun élu au plan national ! c'est évidemment un cas peu probable mais qui reste théoriquement possible.

On déduit de tout cela que Mitterrand n'avait pas tort dans son jugement sur le système de la proportionnelle départementale. Elle réunit certains des avantages de la proportionnelle intégrale, car elle augmente tout de même de manière significative la représentation des petits partis. Et par la dose de système majoritaire qu'elle contient, elle évite le "régime des partis '' dénoncé par de Gaulle, c'est-à-dire la nécessité quasi-certaine, en proportionnelle intégrale, de former des coalitions de plusieurs partis (presque toujours au moins trois) pour pouvoir gouverner.

Revenons maintenant aux considérations simplistes et démagogiques de certains.

En 1986, sous le régime de la proportionnelle départementale, le FN a obtenu 30 députés. D'après ce que je viens d'exposer, on comprend que pour obtenir un tel nombre de députés avec ce système, il a fallu au FN une solide représentation dans pas mal de départements. Avec les suffrages qu'il a obtenus cette fois-là (qui restaient très inférieurs à ceux qu'il a réunis par la suite), à la proportionnelle intégrale comme sous la Quatrième, il n'aurait pas eu 30 mais environ 60 députés.

Le système dont Mitterrand avait dit qu'il était "le plus juste" cessa soudain de l'être, pour la seule et unique raison qu'un nouveau venu dans le jeu politique pouvait prétendre à une part considérable de la représentation.

C'est exactement là qu'a commencé la tactique répugnante de la diabolisation.

Il faut être conscient que le retour au scrutin majoritaire à deux tours n'a pas suffi à écarter le FN du pouvoir : SANS LA DIABOLISATION, MEME EN SYSTEME MAJORITAIRE A DEUX TOURS, IL AURAIT FORCEMENT EU TOT OU TARD DE NOMBREUX ELUS, moins qu'avec un système proportionnel, mais en nombre suffisant pour imposer la prise en compte des aspirations de ses électeurs.

Il a fallu ET le retour au scrutin majoritaire pur et dur ET la diabolisation, menée tambour battant avec un matraquage médiatique qui restera dans l'histoire électorale de la France comme une honte sans égale depuis 1789. La manipulation de Carpentras fut un paroxysme d'abomination. Quiconque n'est pas indigné par cette affaire ne peut être un homme honnête ni de bonne foi. Une telle abjection, ça dépasse la notion de parti, de clivage politique, de faction : ça blesse l'honnêteté tout court ! Moi qui suis loin d'encenser M. le Pen, et encore plus loin d'épouser toutes ses idées, je n'admettrai jamais la façon dont il a été traité en cette occasion. ce sont des méthodes Alcaponesques, je le dis tout net !

Quand j'en lis qui protestent de leurs sentiments humanitaires et de leur modération sans se dire indignés par Carpentras, je sais qu'il ne peut s'agir que d'hypocrites.

Maintenant nous comprenons mieux la situation de la France. La conjonction acharnée - depuis bientôt quinze ans ! - de la diabolisation et d'un système majoritaire à bout de souffle aboutit à ceci : les français restent mécontents, mais n'osent pas voter pour le seul vrai changement qui leur est proposé, à cause de la diabolisation, donc ils s'abstiennent, ou votent blanc ou n'importe quoi (si Coluche n'était pas mort et se présentait à la présidentielle, il ferait un tabac, peut-être irait-il au second tour... c'est dire où nous sommes descendus !). En conséquence, la représentativité réelle des partis qui accèdent au pouvoir se situe entre 25% et 30% des inscrits. Jamais on n'était arrivé si bas dans l'histoire de notre République depuis 1877. Sous la Troisième, aucune coalition de partis au pouvoir n'a jamais représenté moins de 45% des électeurs inscrits. Sous de Gaulle, le parti gaulliste au pouvoir a constamment représenté plus de 42% des électeurs inscrits, avec deux pointes frisant les 50% des inscrits (en 1958 et en 1968).

Je n'ai donc strictement rien à rajouter ni à retrancher à ce que j'ai déjà dit. Le pouvoir qui gouverne actuellement la France est gravement déficitaire dans l'opinion. Si la situation se prolonge, elle va forcément déboucher sur une crise aiguë, dont j'ignore la nature. Mais le suffrage universel est ainsi fait que lorsqu'il est obligé de tricher avec ses propres principes pour se maintenir, il s'autodétruit.

En conclusion, je dirais volontiers ceci : si la classe politique avait joué honnêtement le jeu démocratique dont elle se réclame tant, je pense qu'il n'y aurait plus de problème de FN et de MNR depuis longtemps. Le FN, une fois associé aux responsabilités du pouvoir comme il pouvait légitimement y prétendre à chaque élection depuis 1988, n'y aurait eu, forcément, qu'une part minoritaire. Il aurait été confronté aux réalités du pouvoir et aurait donc forcément infléchi son attitude. D'honnêtes gens, pas plus méchants que quiconque, auraient travaillé à la gestion des destinées de la France, et nous nous en porterions sûrement bien mieux aujourd'hui, car nous entrons dans une époque très angoissante où notre pays aurait le plus grand besoin d'être soudé, comme l'est le peuple américain; en fait de pays soudé, quand on voit ce qui s'est passé au Stade de France de France ( à l'occasion du match France-Algérie), et les émeutes qui ont suivi à Sarcelles et St-Denis, avec tous ces jeunes qui érigent le terroriste Ben Laden en héros, nous sommes plutôt mal partis...

 
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